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L'occultisme ne s'épanouit vraiment que lorsqu'il est soumis au Divin. La Mère

Les doctrines secrètes des mystiques




"Un des principes dominants chers aux mystiques était-le caractère sacré et secret de la connaissance de soi et de la vraie connaissance des dieux. Une telle sagesse, d'après eux, n'était pas faite pour le mental humain ordinaire, voire même dangereuse pour lui, ou de toute façon risquait d'être dénaturée, mal utilisée et de perdre sa vertu, si elle était livrée aux esprits vulgaires et non purifiés. C'est pourquoi ils préconisaient l'institution d'un culte extérieur, efficace mais imparfait, pour le profane, et d'une discipline intérieure pour l'initié, et habillaient leur discours de mots et d'images qui avaient, tout à la fois, un sens spirituel pour l'élu et un sens concret pour la masse des croyants ordinaires.

En Europe, jadis, constate-t-on, les doctrines secrètes des mystiques ont précédé les écoles de philosophie intellectuelle; les mystères orphiques et éleusiniens ont fertilisé le terreau intellectuel d'où sont issus Pythagore et Platon. Un point de départ similaire est à tout le moins probable quand la pensée a poursuivi plus tard son évolution en Inde. Une grande partie des aspects et des symboles de la réflexion que nous trouvons dans les Upanishads, comme une grande partie de la substance des Brahmanes, supposent en Inde une période "où la pensée a revêtu, comme dans les mystères grecs, la forme ou le voile d'enseignements secrets.      
Le gouffre séparant le culte concret des Pouvoirs extérieurs de la Nature, dans le Véda, de la religion très élaborée des Grecs et des notions psychologiques et spirituelles associées aux fonctions des dieux dans les Upanishads et les Puranas, est une autre lacune que ne comblent pas les théories en cours. Nous pouvons accepter, pour l'instant, la théorie selon laquelle la religion humaine la plus primitivement intelligente prend nécessairement la forme — puisque l'homme sur terre part de l'extérieur pour aller vers l'intérieur — d'un culte des Pouvoirs extérieurs de la Nature, investis de la conscience et de la personnalité qu'il trouve dans son être propre. 
   
[...]

Le Rishi n'était pas l'auteur particulier d'un hymne, mais le voyant — drastà —. d'une vérité éternelle et d'une connaissance impersonnelle. Le langage du Véda, lui-même est sruti, rythme. non pas composé par l'intellect mais entendu, Verbe divin qui arrivait vibrant de l'Infini à celui qui s'était au préalable préparé à « écouter » intérieurement cette connaissance impersonnelle. Les termes eux-mêmes, drsti et sruti, la vue et l'ouïe, sont des expressions védiques; ceux-ci et d'autres de même nature désignent, dans la terminologie ésotérique des hymnes, la connaissance révélatrice et le contenu de l'inspiration.        
Le concept védique de révélation ne suggère rien de miraculeux ou de surnaturel. Le Rishi qui employait ces facultés les avait acquises par un développement personnel progressif. La connaissance elle-même était un voyage et un aboutissement, ou une découverte et une conquête; la révélation ne venait qu'à la fin, la lumière était la récompense de la victoire finale. Le Véda reprend sans cesse cette image du voyage, de l'âme qui marche vers la Vérité."

Sri Aurobindo,  Le Secret du Véda



La triple immortalité



A propos de la survivance de l'âme après la mort et de la subsistance des vies passées de renaissance en renaissance Sri Aurobindo explique que ce processus est régie par la loi du Karma, l'action. Le karma ou action de cette vie s'épuise par la vie dans un monde au-delà, où ses conséquences s'accomplissent, puis l'âme retourne sur terre pour un nouveau karma. La cause de la naissance dans ce monde, du karma, du passage de l'âme à l'existence en d'autres mondes et de son retour ici est, du début à la fin, la conscience, la volonté et le désir de l'âme elle-même.

"Cette conception de la Personne et de la Personnalité, si nous l'acceptons, doit dès lors modifier nos idées courantes sur l'immortalité de l'âme; car normalement, quand nous affirmons que l'âme ne meurt pas, nous voulons dire que survit après la mort une personnalité définie et immuable qui était et restera toujours la même pour l'éternité. C'est pour le « je » très imparfait et superficiel du moment, considéré évidemment par la Nature comme une forme temporaire qui ne vaut pas la peine d'être conservée, que nous exigeons ce droit prodigieux à la survie et à l'immortalité. Mais cette exigence est extravagante et ne peut être satisfaite : la survie du « je » du moment ne peut être admise, que s'il consent à changer, à ne plus être lui-même mais un autre, plus grand, meilleur, plus lumineux en connaissance, se modelant davantage sur l'image de la beauté intérieure éternelle, progressant de plus en plus vers la divinité de l'Esprit secret. C'est cet esprit secret, cette divinité du Moi en nous qui ne périt point, parce qu'elle est non-née et éternelle. L'entité psychique au-dedans qui la représente, l'individu spirituel en nous est la Personne que nous sommes; mais le « je » du moment, le « je » de cette vie-ci n'est qu'une formation, une personnalité temporaire de cette Personne intérieure, c'est l'une des, nombreuses étapes de notre changement dans l'évolution, et elle ne sert son dessein véritable que quand nous la dépassons pour aller vers une étape ultérieure qui nous rapproche d'un plus, haut degré de conscience et d'existence. C'est la Personne intérieure qui survit à la mort tout comme elle préexiste à la naissance; car cette survie constante est une traduction, en termes de Temps, de l'éternité de notre Esprit intemporel.
 Ce que nous exigeons normalement, c'est une survie similaire de notre mental, de notre vie et même de notre corps : le dogme de la résurrection du corps témoigne de cette dernière exigence qui a été aussi à l'origine de l'effort de l'homme, à travers les âges, pour découvrir l'élixir d'immortalité ou des moyens magiques, alchimiques ou scientifiques de vaincre physiquement la mort du corps. Mais cette aspiration ne pourrait se réaliser que si le mental, la vie ou le corps pouvaient revêtir une part de l'immortalité et de la divinité de l'Esprit qui demeure au-dedans. Dans certaines circonstances, la survie de la personnalité mentale extérieure qui représente le Pourousha mental intérieur serait peut-être possible. Elle pourrait se produire si notre être mental venait à être si puissamment individualisé à la surface, si uni au mental intérieur et au Pourousha intérieur et, en même temps, si souplement ouvert à l'action progressive de l'Infini que l'âme n'aurait plus besoin de dissoudre l'ancienne forme du mental et d'en créer une nouvelle pour progresser. Seules une individualisation, une intégration et une ouverture similaires de l'être vital à la surface rendraient possible une survie similaire de la partie vitale en nous, de la personnalité vitale extérieure qui représente l'être vital intérieur, le Pourousha vital. Ce qui arriverait en réalité, c'est que le mur entre le moi intérieur et l'homme extérieur serait abattu et l'être mental et vital permanent, représentant mental et vital de l'entité psychique immortelle, gouvernerait la vie au dedans. Notre nature mentale et notre nature vitale pourraient alors être une expression progressive continue de l'âme et non un lien entre des formations successives dont l'essence seule est conservée Notre personnalité mentale et notre personnalité vitale subsisteraient alors sans dissolution de naissance en naissance; elles seraient alors, en ce sens, immortelles, survivraient en permanence, continues dans le sens de leur identité. Ce serait évidemment une immense victoire de l'âme, du mental et de la vie sur l'Inconscience et les limitations de la Nature matérielle.,
Mais une telle survie ne pourrait durer que dans le corps subtil; l'être devrait encore se défaire de sa forme physique, passer dans d'autres mondes et, à son retour, revêtir un nouveau corps. Le Pourousha mental et le Pourousha vital éveillés, conservant l'enveloppe mentale et l'enveloppe vitale du corps subtil qui sont habituellement abandonnées, retourneraient avec elles dans une nouvelle vie et conserveraient le sens vif et soutenu d'un être mental et vital permanent constitué par le passé et continuant dans le présent et l'avenir; mais la base de l'existence physique, le corps matériel ne pourrait être conservé même par ce changement. L'être physique ne pourrait durer que si, par certains moyens, ses causes physiques de déclin et de désintégration pouvaient être surmontées et qu'en même temps il pouvait être rendu assez souple et progressif dans sa structure et son fonctionnement pour pouvoir répondre à chaque changement exigé de lui par le progrès de la Personne intérieure; il devait être capable de marcher du même pas que l'âme dans la formation de la personnalité qu'il exprime, dans le long déploiement d'une divinité spirituelle secrète et dans la lente transformation du mental en divine existence mentale ou spirituelle. Cet accomplissement d'une triple immortalité : immortalité de la nature complétant l'immortalité essentielle de l'Esprit et la survie psychique à la mort, pourrait bien être le couronnement de la renaissance et une indication capitale de la conquête de l'Inconscience et de l'Ignorance matérielle jusque dans les fondations mêmes du règne de la Matière. Mais la véritable immortalité serait malgré tout l'éternité de l'Esprit : la survie physique ne pourrait être que relative, interrompue à volonté, signe temporel de la victoire de l'Esprit ici-bas sur la Mort et la Matière.

Même si la science — physique ou occulte — parvenait à découvrir les conditions ou les moyens nécessaires à une survie indéfinie du corps, mais que par ailleurs le corps ne pouvait s'adapter suffisamment pour devenir un instrument d'expression approprié de la croissance intérieure, l'âme trouverait une manière de l'abandonner et de passer à une nouvelle incarnation. Les causes matérielles ou physiques de la mort ne sont ni sa vraie ni sa seule raison d'être : sa vraie cause intrinsèque est qu'elle est spirituellement nécessaire à l'évolution d'un être nouveau."

Sri Aurobindo, La Vie Divine, Chapitre XXII: La renaissance et les autres mondes: le karma, l'âme et l'immortalité".

Le sanskrit védique



Voici un texte extrait du Secret du Véda de Sri Aurobindo, qui nous éclaire sur la portée spirituelle des mots, notamment en langue sanskrite et de leur emploi dans divers pratiques, sous forme de mantra, par le mental, la parole ou l'écriture. (cf Le pouvoir du nom)
 



"les mots, tout comme les plantes, tout comme les animaux, ne sont nullement des productions artificielles, mais quelque chose qui évolue — l'évolution vivante d'un son ayant pour origine certains sons primordiaux. À partir de ces sons primordiaux se développe un petit nombre de radicaux primitifs, dotés d'une immense progéniture qui, de génération en génération, s'ordonne en tribus, clans, familles, groupements restreints ayant chacun une ascendance commune et une histoire psychologique commune. Car le facteur qui a présidé au développement du langage a été le rapprochement, fait par le mental nerveux chez l'homme primitif, entre des sons articulés et certaines significations générales, ou plutôt certaines commodités et valeurs sensorielles en général. Le processus guidant cette association n'avait rien non plus d'artificiel, il était naturel et gouverné par des lois psychologiques simples et bien définies.      

Au départ, les phonèmes n'ont pas servi à exprimer ce que nous appellerions des idées; ils traduisaient plutôt vocalement certaines sensations et nuances émotives générales. Ce sont les nerfs et non l'intellect qui ont créé la parole. Pour employer le symbolisme védique, Agni et Vayu, non Indra, ont les premiers façonné le langage humain. Le mental a émergé des activités vitales et sensitives; l'intellect chez l'homme s'est construit en partant d'associations et de réactions sensorielles. Obéissant à un processus similaire, la fonction intellectuelle du langage s'est développée suivant une loi naturelle à partir des sensations et des émotions. Les mots, qui étaient au départ des expulsions vitales pleines d'un vague potentiel sémantique, ont fini par se figer et symboliser des notions intellectuelles précises.  

Le mot donc, à l'origine, n'était lié à aucune idée précise. Il avait un caractère général ou qualité, guna, susceptible d'un grand nombre d'applications et, par conséquent, d'un grand nombre de significations possibles. Et ce guna et ses résultats il les partageait avec de multiples sons apparentés. Au début donc, des clans de mots, des familles de mots ont entamé leur existence communautaire avec en partage un capital de significations virtuelles ou réelles, et le droit d'acquérir chacune d'entre elles; leur originalité tient davantage à des nuances dans la traduction d'idées similaires, plutôt qu'elle ne repose sur un certain privilège à exprimer une idée unique. L'histoire du langage, à ses débuts, représente l'évolution, depuis cette mise en commun des mots, vers un système de propriété individuelle d'une ou plusieurs significations intellectuelles. Le principe de la séparation, d'abord fluide, s'est peu à peu durci, jusqu'à ce que des familles de mots et finalement des mots uniques puissent s'émanciper. Le dernier stade de cette évolution absolument naturelle du langage est atteint quand la vie du mot dépend entièrement de la vie de l'idée qu'il représente. Car dans la phase initiale du langage, le mot est vivant et a autant, sinon plus, de pouvoir que l'idée; le son détermine le sens. Dans sa phase finale, les rôles sont inversés; l'idée prime, le son devient secondaire.   
 
(...)Le sanskrit védique correspond à un stade encore plus primitif dans le développement du langage. Sa structure même est moins figée que celle de n'importe quelle langue classique, il possède un multitude de formes et flexions grammaticales, il emploie les cas et les temps de façon fluide et vague, avec cependant une riche subtilité. Et sur le plan psychologique, il ne s'est pas encore cristallisé, le moule rigide de la précision intellectuelle ne l'a pas complètement durci. Le Mot, pour le Rishi védique, demeure quelque chose de vivant, doté d'un pouvoir créateur, formateur. Ce n'est pas encore une convention symbolisant une idée, mais l'auteur et le concepteur même des idées. Il porte en lui le souvenir de ses racines, il est toujours conscient de sa propre histoire. Cette psychologie du Mot gouvernait le langage employé jadis par les Rishis."

Sri Aurobindo, Le Secret du Véda

Vibration du mantra



Source : Sri Aurobindo, commentaire sur les Upanishads.

Toute création est expression par le Verbe ; mais la forme qui est exprimée n'est qu'un symbole ou représen­tation de la chose qui est. Nous le voyons dans la parole humaine qui ne présente au mental qu'une forme men­tale de l'objet; mais l'objet qu'elle cherche à exprimer n'est lui-même qu'une forme ou représentation d'une autre Réalité. Cette Réalité est Brahman. Le Brahman exprime par le Verbe une forme ou représentation de Soi‑même dans les objets des sens et de la conscience qui constituent l'univers, exactement comme le mot humain exprime une image mentale de ces objets. Ce Verbe est créateur en un sens plus profond et plus originel que la parole humaine, et avec une puissance dont la plus haute créativité de la parole humaine ne peut donner qu'une analogie faible et lointaine.
Le mot employé ici pour désigner l'émission de la parole signifie littéralement « élévation pour mettre en face » du mental. Brahman, dit l'Upanishad, est ce qui ne peut pas être ainsi élevé devant le mental par la parole.
La parole humaine, comme on le voit, élève seulement la représentation d'une représentation, la figuration men­tale d'un objet qui est lui-même seulement une figura­tion de l'unique Réalité, Brahman. Elle a bien un pou­voir de création nouvelle, mais ce pouvoir même ne s'étend qu'à la création d'images mentales nouvelles, c'est-à-dire de formations complémentaires, basées sur des images mentales antérieures. Un pouvoir aussi limi­té ne donne aucune idée de la puissance créatrice originelle que les anciens penseurs attribuaient au Verbe divin.
Si cependant nous pénétrons un peu plus profondément sous la surface, nous atteindrons à une puissance dans la parole humaine qui, elle, nous donne une image lointaine du Verbe créateur originel. Nous savons qu'une vibra­tion sonore a le pouvoir de créer — et de détruire — des formes ; c'est un lieu commun de la science moderne. Supposons donc qu'à l'arrière-plan de toutes ces formes il y ait une vibration créatrice sonore.
Et maintenant examinons le rapport entre la parole humaine et le son en général. Nous voyons aussitôt que la parole n'est qu'une application particulière du prin­cipe du son, une vibration, produite par la pression du souffle en son passage à travers la gorge et la bouche. Au début, sans aucun doute, elle a dû être formée natu­rellement et spontanément pour exprimer les émotions créées par un objet, par un événement; ce n'est qu'en­suite que le mental s'en est emparé pour exprimer, d'abord l'idée de l'objet, puis des idées sur l'objet. Il semblerait donc que la valeur de la parole fût seulement représen­tative et non créatrice.
Or, de fait, la parole est créatrice. Elle crée des formes d'émotion, des images mentales, des impulsions d'action. La théorie et la pratique védiques anciennes accroissaient cette action créatrice de la parole par l'emploi du man­tra. La théorie du mantra est que c'est un mot de puissance né des profondeurs secrètes de notre être, où il a été couvé par une conscience plus profonde que la cons­cience mentale, formé dans le cœur et non point par l'intellect, tenu dans le mental, puis objet de la concen­tration de la conscience mentale éveillée, et enfin pro­jeté au-dehors silencieusement ou par la voix — le mot silencieux considéré comme plus puissant peut-être que le mot parlé — précisément pour un but de création. Le mantra peut non seulement créer en nous-même de nouveaux états subjectifs, modifier notre être psychique, révéler une connaissance et des facultés que nous ne possédions pas auparavant, il peut non seulement pro­duire des résultats semblables dans d'autres esprits que celui de qui le prononce, mais encore il peut produire dans l'atmosphère vitale et mentale des vibrations qui ont pour résultats des effets, des actions et même l'appa­rition de formes matérielles sur le plan physique.
De fait, même ordinairement, même chaque jour, à chaque heure, nous produisons, par la parole en nous, des vibrations-pensées, des formes-pensées qui ont pour résultats des vibrations correspondantes vitales et phy­siques, agissent sur nous, agissent sur autrui, et finissent par créer indirectement des actions et des formes dans le monde physique. L'homme agit constamment sur l'hom­me à la fois par le mot silencieux et par le mot parlé, et il agit et crée de la même façon, quoique moins direc­tement et moins puissamment, même dans le reste de la Nature. Mais, parce que nous sommes stupidement absor­bés par les formes extérieures et les phénomènes du mon­de et que nous ne prenons pas la peine d'examiner ses processus subtils et non physiques, nous demeurons ignorants de tout ce champ de science qui est derrière le voile.
L'emploi védique du mantra n'est qu'une utilisation consciente de cette puissance secrète du Verbe. Et si nous considérons la théorie qui en est la base en même temps que notre hypothèse antérieure d'une vibration de son créatrice derrière toute formation, nous commencerons à comprendre l'idée des vibrations de son originelles pro­ductrices de formes correspondantes ou de changements de formes. Mais, selon la pensée antique, la matière n'est que le plus bas des plans d'existence. Comprenons alors qu'une vibration de son sur le plan matériel présuppose sur le plan vital une vibration correspondante sans la­quelle elle n'aurait pu entrer en jeu; celle-là présuppose à son tour une vibration causale correspondante sur le plan mental ; le mental présuppose une vibration causale correspondante dans le supramental à la racine même des choses. Mais une vibration mentale implique la pensée et la perception, et une vibration supramentale implique une vision et un discernement suprêmes. Toute vibration de son sur ce plan supérieur comporte donc ce suprême discernement d'une vérité dans les choses, et en est aussi l'expression ; elle est en même temps créatrice, et comporte une suprême puissance qui coule en des formes la vérité discernée; et enfin, descen­dant de plan en plan, elle reproduit cette vérité dans la forme physique ou l'objet créé dans la matière par le son Nous voyons ainsi que la théorie de la création par le Verbe qui est l'expression absolue de la Vérité, et la théorie de la création matérielle par la vibration de son dans l'éther se correspondent et sont deux pôles logiques de la même idée. Elles appartiennent toutes deux au même ancien système védique.
Voici donc le Verbe suprême, Parole de notre parole. C'est la vibration de pure Existence, chargée de la puissance de perception et de création de la conscience, infinie et omnipotente, recevant du Mental qui est derrière le mental sa forme de mot inévitable de la Vérité des choses ; de toute substance et sur tout plan, la forme ou expression physique émerge de par son mécanisme créateur. Le Supramental employant le Verbe est le Logos créateur.
Le Verbe a ses sons-semences — suggérant la syllabe éternelle du Véda, AUM, et les sons-semences des tantristes — qui portent en eux les principes des chose a ses formes qui sont à l'arrière-plan de la parole révélatrice et inspirée qui vient aux suprêmes facultés de l'homme, et ces formes déterminent les formes des choses dans l'univers : il a ses rythmes — car il n'est, point une vibration désordonnée, mais se déroule et se fond en de grandes mesures cosmiques — et selon le rythme sont déterminés la loi, l'arrangement, l'har­monie, les processus du monde qu'il construit. La vie elle-même est un rythme de Dieu.

Sri Aurobindo, Trois Upanishads